Les vivandières

Les vivandières : petit historique
Dans les armées de l'Ancien Régime, la plupart des selliers, bottiers, cordonniers, armuriers, tailleurs commissionnés par les colonels avaient « Ménage monté », autrement dit avaient femmes et enfants. C'est à eux qu'allaient de préférence les emplois de « vivandiers », pour lesquels ils bénéficiaient depuis 1778 d'une exemption des droits sur le tabac et les boissons et étaient autorisés à suivre la troupe en queue de colonne, avec une charrette attelée. Leurs épouses étaient tenues de se rendre utiles à la compagnie comme ravaudeuses et lavandières et d'entretenir les hardes des soldats.

La Révolution, va contribuer à accroître un désordre qui se fait sentir depuis longtemps, car outre les épouses de ces vivandiers, les armées ont de tout temps traîné à leur suite nombre de filles plus ou moins recommandables, vivant du soldat et de la guerre.

Un décret de la Convention du 8 mars 1793 autorise les militaires à se lier par mariage sans le concours de leurs chefs supérieurs, cette disposition va aggraver ce désordre. Ces femmes qui se déplacent à la suite, occupent indûment les voitures et chariots destinés aux vivres, les camps et les casernes sont encombrés par leur présence et créent des désordres sans nombre.

Les autorités militaires ordonnent par la loi du 30 avril 1793, de chasser de tous les régiments les femmes non blanchisseuses ou vivandières, celles-ci devront être munies d'une médaille de femme de troupe, le nombre en est limité à quatre ou six par bataillon.

A l'armée d'Italie, Bonaparte décrète que les femmes inutiles seront barbouillées de suie, promenées sur un âne à travers le camp puis chassées hors des postes à une lieue.

Un arrêté consulaire de l'An VIII fixe le nombre de femmes employées au blanchissage et à la vente des vivres et des boissons, prescrivant de porter le choix sur les citoyennes de bonnes manières, mariées à des soldats ou à des sous-officiers en activité de service, reconnues les plus actives, les plus utiles aux troupes, et dont la conduite et les mœurs sont les plus régulières.

Ces femmes qui partagent le quotidien du soldat impérial, portent réglementairement une médaille autour du cou, indiquant leur nom, qualité et numéro d'enregistrement de la patente délivrée par la prévôté générale, soumises à l'autorité et à la surveillance de la gendarmerie, leurs prix doivent demeurer raisonnables et les produits qu'elles vendent de bonnes qualités.

Ce sont de rudes gaillardes qui cheminent à pied à la suite des régiments dans leurs débuts. Portant une hotte en osier, contenant les quelques douceurs qu'elles destinent à leur commerce, ainsi que le légendaire tonnelet d'eau de vie en sautoir ; puis les affaires marchant bien, elles font bien vite l'acquisition auprès d'un soldat, pour quelques napoléons, d'un cheval « trouvé » ; enfin nous les retrouvons propriétaire d'un fourgon bien attelé de deux chevaux et largement approvisionné. Autour d'elles, s'entassent tonnelets, cervelas, saucissons et fromages, que les maraudeurs leur rétrocèdent au retour d'une expédition. Le fourrage du cheval est fourni par le régiment, et le statut de la cantinière lui reconnaît le droit d'être admise dans les hôpitaux militaires aux frais du régiment.

Ceci n'empêche pas ces fameuses luronnes d'accoucher au pied d'un arbre et de continuer à assurer leur tâche avec abnégation et courage, pourvues bien souvent d'une nombreuse marmaille, qui est destinée plus tard à faire des petits tambours.

Au camp, pendant les périodes de calme, la tente de la cantinière, se transforme en « salon de compagnie », où y viennent, jouer, boire et fumer les officiers, qui bien souvent lui empruntent de l'argent. Elle a toujours une petite réserve pour ces « messieurs ».

Véritable Saint Bernard du soldat, dans l'infanterie, elles portent en général un chapeau, maintenu sur la tête par un foulard roulé et noué sous le menton. Dans la cavalerie elles portent le bonnet de police de l'unité, point d'uniformes distinctifs, mais au gré des campagnes, elles portent les vêtements pris à l'ennemi, notamment, elles ont une prédilection pour les pelisses de hussards, qui convenant parfaitement à leur féminité, leur donnent en plus un petit air plus militaire. N'oublions pas que les tabliers à poches que portaient nos grand-mères datent de cette époque, les poches sont bien utiles pour y loger la monnaie.

Les vivandières payeront un lourd tribut aux guerres de l'Empire, nombre d'entre elles seront victimes de leur dévouement en secourant, en première ligne, leurs compagnons d'armes blessés ; leur courage égalera plus d'une fois, celui des vieux grenadiers.

Plusieurs d'entre-elles, deviennent « Madame la colonelle », voir même « Madame la générale », ces promotions sociales, n'effacent pas les épisodes de leur vie passée, et les moqueries de la cour impériale ne les épargnent pas.

Citons pour mémoire, quelques-unes d'entre elles.

C'est la « mère Fromageot », laide à faire peur paraît-il, qui séduite par un tambour à l'âge de quinze ans, le quitte pour un capitaine, passe ensuite quelques années dans le domaine public, mais son amour de l'armée lui fait suivre un canonnier de Moreau, qui un soir de libations la cède pour une bouteille d'eau de vie à un maître d'armes, lequel sera bientôt remplacé par un brigadier qui la battait…

C'est encore la « Mère la Joie », vivandière au 36ème de Ligne qui transforme son fourgon en ambulance les jours de combat ; Catherine Béguin du 14ème Léger, portant sur son dos pendant deux lieues son mari blessé pour le conduire à l'ambulance. C'est enfin Madame Cazajus, vivandière au 57ème de Ligne, qui sera citée à l'ordre du jour à la bataille de Gusstadt en 1807, pour avoir, malgré une pluie de balles, pénétrée par deux fois dans un ravin où nos troupes se battaient, afin de leur distribuer gratis deux barils d'eau-de-vie.

Citons, enfin, la plus légendaire d'entre elles Marie dite « Tête de Bois », d'une laideur légendaire dans l'armée, (son visage, dit-on ressemblait à ces têtes d'idoles païennes sculptées dans du bois). Elle épouse un grenadier et le suit à travers ses multiples campagnes. Elle astique le fusil de ce dernier plus souvent que ses verres, et n'hésite pas à faire le coup de feu avec les autres soldats. Elle met au monde un fils lors de la bataille de Marengo, il sera tambour à l'âge de dix ans, recevra un fusil d'honneur des mains du Premier Consul, cinq ans plus tard. Sous-lieutenant à 20 ans, il était chevalier de la Légion d'honneur. En février 1814, son mari est tué à la bataille de Montmirail et quelques jours plus tard le 30 mars, elle est grièvement blessée sous les murs de Paris auprès du cadavre de son fils. Lors des Cent jours, remise de ses blessures, elle reprend du service dans la Garde et se trouve le 18 juin 1815 à Waterloo. Au soir vers 8 heures, elle se trouve avec la Garde, soignant les blessés et distribuant son eau de vie, quand un biscaïen, traversant son baril, lui ouvre le ventre, peu après une balle la frappe au visage, la défigurant définitivement ; elle se traîne alors en criant « Vive l'Empereur ! ». Un grenadier blessé, la regarde et lui dit : « Marie, vous n'êtes pas belle comme ça » ; elle lui répondra : « C'est possible mais, j'ai l'honneur de pouvoir me vanter d'être fille, mère et veuve de troupier ».

Article de Jean Pierre MIR